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samedi 8 septembre 2012

ZENANA UNE ETOFFE, UNE ÉPOQUE, DES SOUVENIRS

UNE ENTREE EN MATIÈRE (TEXTILE) POUR LA RENTREE  
Oui, les vacances se terminent, oui  les bonnes résolutions sont innombrables : nous ferons du sport, nous préparerons des repas équilibrés, nous cesserons de courir après le temps, et nous irons voir toutes les expositions de la saison et oui, nous embellirons notre quotidien, et puis, et puis....
En attendant, je vous offre une entrée en matière douce, un bout d'histoire, un encas, une gourmandise sans calorie, un plaisir abstrait, un voyage sans bouger, un petit tour ailleurs. Rien qu'au doux nom de cette étoffe, zénana, l'imagination prend le pouvoir, c'est un appel au songe par une belle nuit de fin d'été.
"En 1926 nous faisions du tissu pour l'ameublement, des dessus de fauteuils en velours ciselé... Nous avons tissé pour Rodier, Lesur, Derch. Pour ces fabricants, nous avons tissé toutes sortes de tissus: articles simples, articles façonnés, velours coupés, tissu à perles, à plis,  gazes, zénana…" Marcel Gibot in "Les tisserands de légende" Abbaye de Royallieu Compiègne 1993.
La maison Rodier avait l'habitude de baptiser ses tissus avec des noms à consonances inhabituelles   Kasha ou Zénana en sont des exemples caractéristiques. J'aurais aimé que cette tradition se perpetue,  cette excentricité de bon ton aurait égayé les pages de nos magazines. Un peu d'audace ! Avis aux fabricants !

DROLE DE NOM POUR UNE ETOFFE
Qu'est-ce donc que ce drôle de nom de tissu, jamais vu, jamais entendu ! Et pourtant c'est une réalité.
C'est de l'hindi et du persan "zen" que nous vient ce mot qui signifie femme. En Inde musulmane le zénana est l'équivalent du harem, mais c'est aussi une étoffe dont les femmes raffolaient jusque dans les années 1930.

VAGUE RESSEMBLANCE
Cotonnade cloquée, le zénana fit les délices des femmes coquettes. Dans la version légère, le zénana était utilisé pour confectionner des robes mais dans une version plus lourde,  il était parfaitement adapté aux tenues d'intérieur.
Bien que le zénana ne soit plus fabriqué depuis longtemps, on peut se faire une idée de ce qu'il fut en le comparant  au seersucker, tissu lui aussi historique, lui aussi venu des Indes mais toujours présent dans les collections.
Il  y eut plusieurs types de zénana, mais un seul et même nom : tantôt trame en soie, tantôt en coton  et chaîne en laine. Et puis une autre version plus tardive fut proposée :  toujours cloqué ou piqué avec un envers molletonné, rejoignant ainsi la famille des tissus d'aspect velouté, doux et laineux.
 Il ne fut cependant pas uniquement l'apanage des femmes, puisqu'il servit un temps de doublure pour les gilets brodés que portaient les mamelouks.

SOUVENIRS : PROPRIETE PRIVEE
Il m'est arrivé deux ou trois fois depuis que je tiens cette boutique que des clientes d'un âge certain me demandent comme pour me mettre à l'épreuve si je connais le zénana. En leur répondant par l'affirmative, j'ai pu chaque fois déceler une sorte de regret, une frustration comme si je venais de les déposséder d'un secret dont elles s'imaginaient être les seules détentrices. Cette réaction montre à quel point les tissus sont des biens exclusifs, des articles rangés au rayon des souvenirs, propriété d'une génération. Ils ne se partagent pas, ils sont la preuve de l'existence d'un moment de l'histoire d'un pays, d'une personne, d'une vie. On n'entre pas facilement dans l'album des souvenirs d'autrui.
Une étoffe comme le zénana est une prise sentimentale, un acquis subjectif et ceux qui l'on connu, porté, aimé ne veulent pas partager avec ceux qui l'on découvert en tant que curiosité historique,  c'est à dire inanimé, sans cette flamme qui fait vivre une étoffe, sans cette vie que lui confère la MODE. Le simple touriste qui trouve par hasard un nom, un échantillon, une photo, n'est pas autorisé à s'approprier cet article, il ne peut usurper une identité, il n'est qu'un relais de transmission, un promeneur, mais pas un utilisateur. Il doit faire ses preuves et se transformer en détective. Le travail est à la hauteur de la tâche. Il faut aller à la rencontre des histoires, chercher des anecdotes, retrouver les sources et, lorsque c'est possible, débusquer des témoins... 
Alors, si les tissus disparaissent de notre mémoire en quelques décennies, la faute n'en revient-elle pas aux dépositaires qui ne partagent pas la richesse de leur souvenirs?

IMAGES FUGACES D'UN PATRIMOINE FRAGILE
Pour le zénana, nos mères et nos grands mères n'ont comme repères que de fugaces images de leur petite enfance, des robes légères d'été à la campagne.
Images, souvenirs, rêves, voilà de quoi enrichir un patrimoine pas si futile, et surtout pas inutile. Notre industrie textile bien mal en point pourrait peut être rebondir sur des acquis ignorés trop longtemps, et relancer la machine en créant, en devançant, en imaginant, en puisant dans le grand livre du patrimoine.

LES ETOFFES : UN TRESOR EN HERITAGE
Si j'insiste sur la conservation de ces souvenirs, c'est parce que  la mémoire des tissus c'est parfois tout ce qu'il reste lorsque celui-ci a cessé d'exister. L'appréhension d'une étoffe s'apprécie de manière subjective et c'est l'essentiel pour moi. Nos sens nous permettent de personnaliser un produit courant selon sa sensibilité.
Le devenir de ces tissus sera alors teinté d'un zeste d'histoire, étoffé d'un soupçon de réalité, et revisité parfois avec une bonne dose d'imagination.  La mode des imprimés 1970 est présente dans les magazines de mode pour cette rentrée 2012/2013.
La mémoire des tissus est riche d'enseignement. Les archives textiles ou tissuthèques sont de précieux document pour les créateurs, et c'est un plaisir de pouvoir y puiser, y picorer et y découvrir encore et encore des trésors insoupçonnés qui seront peut être les fondements des nouveautés de demain.
La charge d'émotion véhiculée par les tissus est impressionnante. Si le doudou de notre enfance était un moyen de nous rassurer, c'est encore rassurant, de découvrir des repères textiles tactiles enfouis dans notre mémoire. Les odeurs, les textures, les couleurs  font remonter des flots de sentiments que l'on aurait pu croire oubliés. 

  

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